Performance à partir du roman d’Arundhati Roy Le Dieu des Petits Riens
Le Dieu des Petits Riens au Théâtre des Ateliers : quand un livre s’anime
Quand vient l’automne, chaque année à Aix-en-Provence, la fête du Livre s’ouvre sur les lointains, les méconnus ou les trop mal connus de la création du monde contemporain de l’écriture[1]. Cette année l’Inde d’Arundhati Roy a pris la parole. Les auditeurs spectateurs, fidèles ou nouveaux, se sont pressés dans le grand amphithéâtre de la Verrières. Médusés ils ont découvert une femme auteur, belle, pleine d’allant, de vigueur et de joie militante, parlant avec la même aisance de ses fictions et de ses essais, bouleversant pour beaucoup les croyances et les images qu’on admet paresseusement en France comme ailleurs sur le pays, les pays où elle vit et où elle a vécu, évoquant avec simplicité les menaces de mort ou les poursuites judiciaires qui marquent son existence d’écrivain. N’admettant comme inquiétude que celle qu’elle a de ne pas terminer de manière satisfaisante le roman qu’elle entreprend.
Cette année encore ce grand rassemblement ensoleillé en forme de débats, d’animations et d’explicitations s’est prolongé la nuit dans le petit théâtre laboratoire d’Alain Simon.
Le Théâtre des Ateliers de la place Miollis est en effet peu à peu devenu le prolongement naturel et discret de la Fête du Livre. On peut y passer une nuit à lire l’intégrale d’un livre de l’invité de l’année dans une mise en scène ponctuant de musique et d’images le dévoilement d’une œuvre. On peut y entendre se croiser les voix plurielles de lecteurs hommes et de lectrices femmes résonnant sur les murs peints de noir du théâtre. On peut y échanger et s’y restaurer paisiblement dans des pauses conviviales et tranquilles quand la nuit et l’œuvre avancent vers leur terme.
Cette année c’était différent. Alain Simon en annoncier majestueux et massif s’est avancé sur le plateau pour dire qu’il avait choisi de faire dire en performance le « Dieu des Petits Riens » sans livre, sans pupitre et sans lampe de chevet. Le livre des petits riens ne serait pas lu dans son entier. Seraient dits, après avoir été appris par cœur par la comédienne Élyssa Leydet-Brunel, les paysages et les lieux décrits par Arundhati Roy et habités des personnages quelle avait créés. Cela durerait 55 minutes. Alain Simon s’est effacé et sur le plateau nu, une jeune femme seule, sans accessoires aucun, sans costume exotique ni livre à lire, a regardé sans sourciller le public. La lumière s’est éteinte sur les spectateurs et Élyssa a fait apparaître le monde des petits riens. La voix changeante, les gestes sobres et les déplacements de la comédienne, un éclairage discret harmonisé à des situations toujours décrites avec précision par Arundhati Roy ont transporté magiquement les auditeurs spectateurs que nous étions dans l’univers étrange de Rahel, d’Estha et de leur famille. Quand les 55 minutes se sont terminées dans le noir d’un drame inattendu nous sommes restés immobiles et fascinés. Les applaudissements se sont prolongés longtemps. Je redécouvrais que le temps pour moi devenu ennuyeux dans un roman des descriptions et des décors était aussi et encore un plaisir à vivre. Michel Morin (16 octobre 2016)
[1] Annie Terrier , Guy Astic, Liliane Dutrait, (2011) Écritures croisées . Parcours dans les littératures du monde, Editions Rouge Profond.