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13
Juin

Atelier Théâtre en été 2017

Le Théâtre des Ateliers d’Aix-en-Provence propose dans le cadre de « Théâtre en été »

un atelier public de sensibilisation aux propositions du théâtre contemporain du Festival d’Avignon du samedi 8 au mardi 11 juillet 2017

Dans sa volonté permanente d’associer les spectateurs à une réflexion sur le théâtre contemporain, le Théâtre des Ateliers d’Aix-en-Provence propose du samedi 8 au mardi 11 juillet 2017 « Théâtre en été », atelier pratique et théorique dirigé par Alain Simon*, autour de spectacles choisis dans la programmation du Festival d’Avignon.

Le principe de cet atelier est de déterminer et d’expérimenter à partir de spectacles vus en commun la place faite au texte sur le plateau, les codes de jeu, les filiations théâtrales, la singularité des artistes, les enjeux esthétiques et la conception du travail de l’acteur mobilisés à l’occasion de ces mises en scène.

Ces quatre jours prolongent les Ateliers publics qui ont lieu tout au long de l’année et qui répondent à la volonté du Théâtre des Ateliers de permettre au public d’accéder à des espaces de pratique théâtrale, de réflexion critique et de connaissance du théâtre contemporain et de ses auteurs.

L’atelier du 8 au 11 juillet se déroule au Théâtre des Ateliers d’Aix-en-Provence et au Festival d’Avignon où les spectacles sont présentés. Pour des raisons de programmation et de dates nous ne savons pas encore si nous pourrons avoir des places pour tous les spectacles retenus. Le prix de l’atelier comporte l’achat des places auprès du festival et les frais administratifs.

 Les participants se rendent à Avignon par leurs propres moyens (en co-voiturage – signaler à l’inscription si l’on a ou non une voiture à disposition.

 Programme
samedi 8  juillet :
– Atelier pratique et théorique de 10h à 12h30 au Théâtre des Ateliers d’Aix-en-Pce

– 15 h : Les Parisiens d’Olivier PY – Théâtre, mise en scène Olivier Py
            La Fabrica durée 3h30, entr’acte compris.

Publié Le 10.07.2016 à 13h31

Olivier Py, directeur du Festival d’Avignon : « Je ne voulais que des aventures extrêmes : le théâtre, la mort, le cloître »

La soixante-dixième édition du festival de théâtre et de spectacle vivant se tient jusqu’au 24 juillet dans la cité des Papes.

Auteur, metteur en scène, acteur, Olivier Py est directeur du Festival d’Avignon, dont la soixante-dixième édition se tient jusqu’au 24 juillet dans la cité des Papes.

Je ne serais pas arrivé là si…

…  si ma mère ne m’avait pas appris une chose fondamentale : « Le travail paie ». Elle me le disait toujours. Elle m’a donné un goût immodéré pour le travail, avec un peu de pression aussi ! Parce qu’il fallait toujours que je sois le meilleur partout, tout le temps.  

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Je tiens de ma mère un sens pratique extraordinaire, d’organisation, de pragmatisme. Toute ma stabilité psychologique vient de ce qu’elle, et mes grands-mères, m’ont donné comme amour. Tout ce qui est, en moi, subversif et dangereux vient de mon père…

Et je ne serais pas arrivé là si je n’avais pas eu une professeure de français merveilleuse : mademoiselle Barrel, en classe de quatrième. Elle avait invité dans notre collège tout pourri la Compagnie lyonnaise des Huit-Saveurs. Pendant une semaine, les artistes ont fait un atelier de théâtre autour de Candide. Cela a changé ma vie. L’année suivante, ils sont revenus et m’ont proposé un petit rôle.

Pourquoi cela a-t-il changé votre vie ? Que s’est-il passé au contact de ces artistes ?

J’étais déjà passionné d’art et de littérature, alors que mon milieu social ne m’y prédisposait pas. Mais, en travaillant avec des comédiens dans ce collège, les choses sont devenues possibles. Je trouvais un lieu d’intense jouissance. Au fond, j’apprenais à jouir. Je découvrais tout simplement la vie de l’esprit.

Sans cela, j’aurais mis plus de temps à comprendre que c’était ma place. Ensuite, j’ai commencé à lire tout ce qu’il y avait dans la bibliothèque familiale : Camus d’abord, puis Bazin, Mauriac, tout. Et je suis devenu graphomane. A 17 ans, j’écrivais tous les jours. J’en ai des cartons.

Etes-vous encore en contact avec votre ancienne professeure de français ?

Je la revois au Festival. Et je lui rends toujours hommage. J’essaie à mon tour de faire comme elle, parce que je sais que cela sauve des existences. Dès que je suis arrivé à Avignon, j’ai repéré le collège le plus dur. La première fois que j’y suis allé, quand j’en suis ressorti, j’avais les larmes aux yeux.

Est-il vrai que vos parents vous ont dit : « Homosexuel si tu veux, artiste si tu veux, mais curé, non ! » ?

Pas curé, moine !

Vous avez eu la tentation d’être moine ?

Il y a d’abord eu mon coming out à 16 ans auprès de la famille et de l’école. Dans les années 1980, ce n’était pas très commun. A cette époque, j’hésitais entre les vocations religieuse, monacale, et artistique. Je n’ai jamais pensé être curé, mais vivre – comme le dit Bernanos – une aventure spirituelle héroïque, de silence, de prières, de rencontre avec la joie, j’en ai rêvé très fortement.

Je pourrais dire que j’en rêve encore. Quand j’étais jeune homme, je voulais à la fois dévorer le monde et en même temps m’en retirer. Je crois que c’est toujours le cas. Je transporte avec moi un cloître discret.

Mais vos parents étaient des laïcards…

Ah oui, très laïcards. Mon idée ne leur plaisait pas du tout. Artiste, pédé, de gauche, ça allait encore, mais moine, non. Cette dimension religieuse les surprenait. Mais à 20 ans j’étais infernal.

Infernal ?

Je ne voulais que des aventures extrêmes : le théâtre, la mort, le cloître. J’étais très tenté par la mort entre 15 et 20 ans. J’étais plus que tourmenté, j’étais scarificateur, au bord du suicide. Je me trimballais quand même à l’école avec un revolver chargé ! J’étais spécial. J’avais mon 22 long rifle, volé à mon père, qui aimait beaucoup les armes.

J’ai toujours vécu avec la souffrance. La souffrance n’empêche pas de rire, de vivre, de travailler beaucoup. Certaines personnes vivent avec cela pour toujours, c’est comme ça.

Que gardez-vous de l’enfant que vous étiez ?

Deux choses : d’abord l’humour. Je rigole encore tout le temps. Ensuite la Méditerranée. J’appartiens à cette mer, mes parents l’ont traversée dans tous les sens. L’histoire de la Méditerranée, c’est une histoire de barque avec des gens qui s’enfuient. Mes parents, expatriés, m’ont beaucoup raconté leur voyage. Et ma grand-mère me racontait comment ces parents sont venus de Naples sur une barque. Je suis profondément un Méditerranéen, parce que l’appartenance nationale me semble dérisoire par rapport au fait d’être un Méditerranéen.

A 20 ans, en 1985, vous venez jouer pour la première fois dans le Festival « off » d’Avignon et vous vous jurez de ne plus y revenir

Je venais d’échouer à Normale sup, j’avais un chagrin d’amour, je préparais le concours de l’Idhec [l’ancien nom de la Fémis]. C’était la première fois que j’étais engagé professionnellement. Je débarquais, me sentais étranger. Je faisais un remplacement dans une troupe qui jouait L’Ecume des jours. C’était très dur. C’est pour cela que je garde à jamais une admiration pour les gens qui font le « off », collent des affiches, tractent, montent et démontent le décor chaque jour.

Finalement, vous êtes revenu…

Chaque année ! Avignon, c’est un combat. Ce n’est pas un festival de divertissement. J’ai commencé à aimer ce combat. En 1988, j’ai joué dans une pièce de Lenz. Quelques années étaient passées, j’étais entré au Conservatoire et me sentais moins perdu dans ce monde-là. Cela a été magnifique. Je l’ai vécu avec beaucoup de joie.

Vous dites que c’est Shakespeare qui vous a rendu libre

Shakespeare agrandissait le monde. Le théâtre, c’était toujours une chambre, un salon, avec lui c’était le monde. Il y a un théâtre bourgeois, réaliste, bienséant. Et puis il y en a un autre qui a la folie de représenter le monde. C’est d’abord chez Shakespeare que je l’ai trouvé. Lorsque Jean Vilar a voulu, en Avignon, faire voler en éclats le théâtre bourgeois, il est allé chercher Shakespeare.

« La Servante », en 1995, représente le tournant de votre carrière. Quel souvenir en gardez-vous ?

La Servante, c’est la plus belle semaine de ma vie. Et cela m’a ouvert toutes les portes. J’avais 30 ans. Nous étions 27 acteurs et voulions jouer un spectacle de vingt-quatre heures. Ne jamais s’arrêter, jouer sans fin. C’était l’aventure utopique, une proclamation de la vie spirituelle. Pour nous, c’était de l’art pour l’art. Pas un happening, mais des pièces de théâtre que j’avais écrites et répétées pendant plus de deux ans. Etonnement, le public a suivi. L’étrange alchimie a été de faire un geste héroïque, radical et en même temps un succès populaire. Là, j’ai commencé à comprendre Avignon.

C’est-à-dire ?

L’exigence artistique qui produit du théâtre populaire : c’est ça le miracle, le tour de passe-passe d’Avignon.

Derrière la notion de « théâtre populaire », que mettez-vous ?

Il faut faire attention de ne pas flatter le public dans le sens de l’Audimat. C’est là qu’un pays perd son âme. A Avignon, Jean Vilar n’a jamais flatté le goût du public. Il est parti d’une chose très simple : « Ce en quoi je crois, si j’y crois sincèrement, le public y croira. » Paul Puaux, ancien directeur du Festival d’Avignon, m’avait dit après ma pièce Le Visage d’Orphée : « Les critiques, ce n’est pas la peine de les lire. Le milieu du théâtre n’en attend rien. Tu n’as qu’un seul allié, c’est le public. »

C’était vrai. Pour tous mes spectacles, j’ai toujours été sauvé par le public. Dans la vie, je déteste m’ennuyer, je suis enfantin à ce niveau-là. Mais la bourgeoisie adore s’ennuyer. Elle croit qu’elle pense quand elle s’ennuie et que le rire est vulgaire, qu’il n’est pas un trait de l’esprit.

La même année que « La Servante », vous participez à une grève de la faim pour dénoncer le drame de la Bosnie. C’est le début de vos engagements politiques. D’où ce besoin de vous engager vient-il ? 

C’est à cause du sida et parce que je suis catholique. A priori, quand on est catholique, on est censé se battre pour les autres et non, par exemple, défiler pour empêcher les homosexuels d’avoir des droits. Mais d’abord il y a eu le sida : cette nouvelle forme d’engagement associatif qui partait de la société civile (comme Act Up), c’est vraiment ma génération.

Je n’ai jamais pris de carte dans aucun parti. Les discussions néomarxistes de mes camarades de classe m’endormaient, je les trouvais totalement hors sol. J’avais la sensation que la guerre en Bosnie était en train de détruire l’idée même d’Europe et qu’on était face à un nettoyage ethnique qui s’apparentait à un génocide.

Puis j’ai rencontré Susan Sontag. Elle revenait de Sarajevo et me dit : « Je ne comprends pas pourquoi les intellectuels en Europe ne font pas comme à l’époque de la guerre d’Espagne. » Entendre ça a ouvert les vannes et je vivais jour après jour en lien avec Sarajevo.

Ensuite, j’ai rencontré François Tanguy et quelques amis qui créèrent, pendant La Servante, ce qu’on a appelé « La Déclaration d’Avignon » pour briser le sentiment d’impuissance que donnaient les médias. Les grands médias nous informent et en même temps verrouillent le ressort de l’indignation. Je n’accuse personne, mais c’est un fonctionnement mystérieux qui fait que nous sommes coupables et impuissants.

Avez-vous le même sentiment aujourd’hui face à ce qui se déroule en Syrie ?

Bien évidemment. Sur la Syrie, lorsque je dirigeais le Théâtre de l’Odéon, j’avais accueilli – avec Alain Juppé – une conférence de presse des membres la révolution syrienne. On disait que, si on ne les soutenait pas, ce seraient les fondamentalistes qui prendraient le pouvoir… C’est ce qui s’est passé. Mais être interventionniste est quelque chose de complexe dans un héritage de gauche pacifiste.

Comment l’envie d’être directeur de théâtre public vous est-elle venue ?

Ce n’était pas un plan de carrière. Simplement, ma vie rêvée a toujours été d’avoir une chambre dont la fenêtre donnerait sur une scène de théâtre. Je m’en sentais capable.

Cela oblige à une proximité avec le pouvoir politique, les institutions culturelles…

Ce n’est pas la partie la plus douce. La proximité avec les artistes et le public compense largement, en joie, les vicissitudes de la vie de courtisan, car on en est un.

« Courtisan » est vraiment le bon terme ?

Ah oui, c’est vraiment cela, comment toujours. Je publie à la rentrée un roman qui s’appelle Les Parisiens et qui essaie d’expliquer, de raconter comment cela se passe. J’avais envie de faire un roman du XIXe siècle. J’ai voulu retrouver les deux parties de moi : le mystique intraitable et le mondain prêt à tout.

Tout, à Paris, fonctionne par un système de courtisanerie – des amis d’amis, des rivalités personnelles, des intrigues, des dîners en ville, des rumeurs, des réseaux – au point que tout perd son sens. Je crois que c’est très exactement à ça que Jean Vilar a voulu échapper en allant mettre un tréteau dans la cour du Palais des papes [rires].

Rien n’a changé ?

Les sociétés ont des maladies comme les hommes. Cela peut être le populisme, cela peut être aussi le parisianisme, la société des héritiers. En 1984, quand je suis arrivé de province, je ne connaissais personne dans cette ville. Je n’avais aucune idée de ce fonctionnement parisien : la reproduction des élites, l’entre-soi… c’est fascinant à voir. C’est un groupe de pouvoir. Ils tiennent les rênes d’eux-mêmes, de leur microsociété, de leur jeu théâtral à eux, à nous, car j’en fais partie.

Diriger le Festival d’Avignon, c’était un rêve ?

Bien sûr, c’est le rêve de ma vie. Avignon m’a tout donné, a fait de moi ce que j’ai été. Je n’ai pas connu d’amour plus grand que le Festival. La culture, c’est l’avenir. Son rôle est de donner du sens, particulièrement quand il n’y en a pas. L’émotion esthétique est fondamentale. C’est la clé qui ouvre tous les possibles. On regarde le plafond de la chapelle Sixtine et on se dit que notre misérable existence a du sens.

Quel est votre rapport au pouvoir ?

Je n’ai jamais aimé le pouvoir pour le pouvoir. Ma vie, c’est de faire de l’art. Diriger un théâtre ou un festival permet de faire des œuvres d’art, c’est tout. Même en tant que metteur en scène, je ne suis pas du tout un dictateur. Le pouvoir est dangereux et il rend fou. Il faut avoir autour de soi des êtres qui vous jette un seau d’eau froide quand on perd le sens des réalités. J’ai cette chance. Un bon artiste de théâtre doit tendre vers la politique mais tendre seulement. Quelquefois, je suis tombé dedans [rires].

En mars 2014, lors des élections municipales, vous menacez de démissionner si le Front national est élu. Une déclaration qui a suscité des réactions violentes…

Oui, j’ai même reçu des menaces de mort homophobes. Même la gauche a été violente, parce qu’elle n’aime pas quand la société civile lui fait la leçon. Si c’était à refaire, je redirais la même chose. Il me semble que c’est mon rôle. Je ne pouvais pas faire autrement. J’ai aussi appelé à voter Christian Estrosi au second tour des élections régionales. Je n’avais pas du tout envie qu’au bénéfice d’un vote blanc, Marion Maréchal-Le Pen s’empare de cette région. Il faut des générations pour construire une écologie culturelle et il suffit de très peu de temps pour la mettre à bas.

Brexit, montée des populismes et de l’extrême droite, que vous n’avez cessé de combattre… Etes-vous inquiet face à l’avenir ?

J’ai une inquiétude extrême, que je n’ai jamais eue auparavant. Je suis un Européen convaincu et j’ai l’impression de voir l’Europe s’écrouler. Il ne faut pas laisser la politique à des professionnels de la politique, cela n’a aucun sens. Quand le peuple aura compris ça…

Propos recueillis par Sandrine Blanchard

Avignon 2017 : “Les Parisiens” vus par l’outrance et l’insolence d’Olivier Py

Le metteur en scène et patron du Festival d’Avignon adapte son propre roman. 4h30 d’un spectacle où le petit monde culturel de la capitale est dépeint parfois avec naïveté, mais qui est emporté par une belle ivresse de théâtre.

Nous avions aimé ce délirant roman fleuve où les orgies les plus corsées se conjuguent aux intrigues artistico politiques ; où foi, sexe, littérature, pouvoir et œuvres d’art mènent une sarabande à faire se damner Balzac, Nietzsche, Claudel, Gide et Teilhard de Chardin réunis. L’auteur et patron du festival d’Avignon s’affiche chrétien, homosexuel et affamé de reconnaissances, comme de jeux. Ce trublion métaphysique de nos scènes publiques – tantôt insolent dieu Pan tantôt mystique doloriste – aime aussi, surtout, à s’amuser, une fois la cinquantaine venue et l’obtention des postes les plus passionnants…

Sa dernière création (4h30 avec entracte quand même !) est réussie. On a eu chaud, pourtant, après une première partie trop sonore, bruyante, enfiévrée de mots et d’une volonté toute dionysiaque de choquer. Jusqu’à l’indigestion ? Il y a une telle ivresse de théâtre, de faire théâtre et de constamment étonner, façon Cocteau, de donner la joie, qu’il sera beaucoup pardonné à Olivier Py dans ses outrances, son mauvais goût tapageur, ses insolences gamines, son goût du religieux flamboyant.

Qui ose encore, comme lui, poser crânement sur le théâtre le problème du bien et du mal, de la mort ou de l’absence de Dieu, de la liberté et du pouvoir, de la jouissance et du désespoir, de la militance politique et du renoncement, des grandeurs et du turpitudes du politique ? Sur le sol en damier noir et blanc imaginé par le scénographe frère Pierre-André Weitz, au milieu de façades haussmanniennes photographiées en noir et blanc sur de gigantesques praticables et qui vont évoluer, danser sur scène tout au long du spectacle, Olivier Py raconte en une suite de situations extrêmes, du lyrisme le plus échevelé au prosaïsme le plus grossier (public chaste s’abstenir) le parcours d’Aurélien, jeune metteur en scène poète transgressif et ambitieux, beau comme un faune de Debussy. Et qui pourrait lui ressembler…

“La seule vérité c’est la mort”

Aurélien tente de réussir avec frénésie dans le Paris arty d’aujourd’hui, et où les plus cultureux d’entre les spectateurs reconnaîtront telle grande sociétaire de la Comédie-Française, tel ministre, chef d’orchestre, mécène ou grand commis de l’Etat… Amoureux d’un poète beau comme un ange mais torturé par l’abandon du père, la haine de soi et l’obsession de la sainteté, Aurélien se perd et se retrouve de bras en bras. Sans dédaigner la prostitution qu’il pratique comme un des beaux-arts, inventant le concept de « putitude » ou… « droit au théâtre »…

En lettres rouges sur le beau décor de Weitz, cette inscription dans la première partie du spectacle : « Une étoile brille de nuit ». Après l’entracte elle est devenue : « L’Etoile ne dit rien ». Un renoncement ? Surtout pas. Une énergie hystérique baigne l’infernale, improbable et métaphysique représentation qui s’achèvera sur un air poignant du Tannhauser de Wagner, tandis que tomberont régulièrement des cintres de crépusculaires et gigantesques scènes de crucifixion ou d’enfer peintes par Le Tintoret…

Souvent accompagnés par le piano droit juste devant la scène, les comédiens (la plupart magnifiques dans leurs audaces, leurs démesure, de Philippe Girard à Mireille Herbstmeyer, de Jean Alibert à Emilien Diard-Detoeuf via Laure Calamy) osent en effet proclamer – voir gueuler – des phrases aussi définitives et exaltées que « la musique est la blessure de Dieu », « la seule vérité c’est la mort », « la souffrance est divine », « je suis celui qui vient » et j’en passe… Un désordre traversé de désirs, de révolutions, de morts et de passion irraisonnée pour un dieu proclamé absent lie et délie ainsi l’écriture comme en transe. Et le petit monde parisien qu’Olivier Py prétend – naïvement ? – observer avec ses compromissions, ses lâchetés, ses vanités n’est pas le plus fascinant. Plutôt la rage vitale et la tragique lucidité d’Aurélien-Olivier, duo pourtant moins développé à la scène que dans le roman…

Peu importe alors que le poète Py s’enivre de mots (parfois boursouflés), de rédemption et de foi en vrac avec un très sexy frisson sacré. Pour les quelques scènes que cet obsédé de la séparation, hanté par la personne du père – divin ou trop humain – ose écrire et faire dire sur l’amour, la foi, le doute et l’espérance, Les Parisiens méritent méditation. Théâtrale et spirituelle.


dimanche 9 juillet :
– Atelier pratique et théorique de 16h00 à 18h00 au Théâtre des Ateliers d’Aix-en-Pce
   
– 22h : Sopro-Souffle de Tiago Rodriguez – Théâtre, m.en scène T. Rodriguez                  
           en portugais surtitré en français
               Cloître des Carmes, durée 1h45

Libération

«Sopro», mémoire au bord du souffle

Par Guillaume Tion et Ève Beauvallet Envoyés spéciaux à Avignon — 9 juillet 2017 à 19:06

Le Portugais Tiago Rodrigues a extirpé des coulisses l’une des dernières souffleuses d’Europe et en a fait l’héroïne de sa dernière création.

Cristina Vidal, en arrière-plan, et les comédiens Joao Pedro Vaz et Isabel Abreu, mercredi à Avignon. Photo Christophe Raynaud de Lage

Le plateau de théâtre comme dernier refuge, la mémoire comme résistance, l’art comme dissidence, la création persécutée, la scène comme lieu des spectres… Bon. On peut toujours rouler des yeux devant ce qui ressemble sur le papier à une somme de poncifs, trop souvent embrassés dans un pompiérisme abrasif par des poignées de dramaturges en lutte, animés par le «souffle divin du Verbe». Mais, vendredi soir, au Festival d’Avignon, on se rendait pourtant les yeux fermés dans la salle de Sopro, spectacle qui comptait bien régénérer ces grands thèmes, en les abordant de biais. Il y avait toutes les raisons de s’enflammer : Sopro est la dernière création du Portugais Tiago Rodrigues, un artiste élégant qui d’ordinaire sait faire confiance aux métaphores sans les surligner trois fois au Stabilo, un conteur génial, à l’écriture blanche et romantique, que l’on croyait à l’abri de toute tentation didactique. Il en donnait notamment la preuve dans son mémorable By Heart en tirant le fil dystopique de Fahrenheit 451, le roman de Ray Bradbury, où nous est conté que dans un futur en cendres, une petite communauté de dissidents résiste à l’oppression en apprenant par cœur les livres que le pouvoir politique en place a entrepris de brûler.

Sopro s’annonçait comme une variation autour du même sujet : nous sommes en 2080 et, partout en Europe, les théâtres sont en ruine. Rien qu’on ait pu voir venir. Juste l’intensification d’un air du temps, qui voit la légitimité des soutiens à la création s’étioler et l’indifférence du public à l’égard du théâtre s’accentuer. Dans ce futur proche, les comédiens auraient néanmoins continué à jouer, envers et contre tout, portant avec eux les fantômes des personnages passés et la mémoire de «grands textes» que d’autres estiment ringardisés. Clandestinement, comme des lucioles, en chuchotant. Oui, c’est beau, d’autant que Tiago Rodrigues a l’art de dénicher les métaphores dans des recoins insoupçonnés : au Théâtre national Dona Maria II à Lisbonne, qu’il dirige depuis trois ans, travaille une des dernières souffleuses de théâtre, un métier déjà oublié, une espèce en voie de disparition. Elle s’appelle Cristina Vidal.

Joncs On comprend pourquoi Tiago Rodrigues a tant insisté pour la convaincre d’être la figure centrale de sa pièce : le souffleur comme centre névralgique du bâtiment théâtral, gardien de l’histoire d’un édifice, celui qui anime l’acteur en souterrain, lui donne sa respiration, celui aussi qui murmure et chuchote. Le souffleur, donc, comme métonymie du théâtre et comme allégorie de la résistance. Magnifique. Alors d’où vient le problème ? Certainement du fait que tout aurait dû rester en sous-texte, au lieu d’être expliqué sur scène. Un plateau vide, fait de planches récupérées d’une ancienne production entre lesquelles poussent des joncs et des mauvaises herbes, est cerné par une succession de voiles façon rideaux de douche. Le vent souffle depuis les enceintes. En dépit des apparences, nous ne sommes pas sur le parvis de la Bibliothèque nationale de France à Paris un soir de grand vent. Nous sommes dans «les ruines du Théâtre national», où se tisse une narration à trois niveaux.

Le premier est celui du récit de vie de Cristina Vidal. Le deuxième expose en acte son travail (le cœur du spectacle). Le troisième revient sur le pari sur lequel repose la création de la pièce : convaincre une professionnelle de l’ombre de rentrer dans la lumière. C’est là que Tiago Rodrigues se perd, en mettant en scène son personnage de directeur du Théâtre national en train d’exposer à la souffleuse (malin, la double énonciation) les motivations qui le poussent à la choisir comme personnage principal.

Sopro est en revanche passionnant quand il s’occupe de faire du théâtre plutôt que d’accumuler des clins d’œil sur la mise en abyme de ses situations. Placer une souffleuse en face des spectateurs, c’est déjà la voir, impassible, en noir, avec son texte, sa lampe et son chrono, massive en face de ces «léopards» des plateaux qu’elle voit rôder depuis trente-neuf ans. Et c’est donc montrer son rôle par l’exemple. En cela, la pièce s’apprécie comme une formidable fiche métier, où sont dénombrés les différents cas de figure de l’intervention d’un souffleur – quand les acteurs oublient le texte ou le modifient trop – à grand renfort d’anecdotes et de contextualisation drôles et délicates. La petite histoire du Théâtre national de Lisbonne nous promène ainsi dans les Trois Sœurs, l’Avare ou Antigone, textes dont les acteurs rejouent, dans un fondu parfait, les scènes par fragments et selon l’angle de vue de Cristina Vidal.

Soliloque Le voyage pourrait durer des heures. Surtout quand il nous plonge dans le souvenir de cette scène de répétition où se font face deux comédiens, elle dans le rôle de la mourante d’une maladie pulmonaire, lui jouant le médecin qui la reçoit. On explique à l’acteur que, dans la réalité, le médecin avait sur le visage un sourire triste, celui qu’on destine aux malades. «Il n’a pas pu sourire», s’emporte le comédien qui refuse de voir que, si le drame a des règles, la réalité n’en a pas. Cette façon d’introduire la question de la véracité de l’interprétation et de la restitution paraît d’un coup d’autant plus subtile que, au préalable, le spectateur a dû subir le soliloque du directeur du Théâtre national à propos du réel qui empiète sur les rives de la fiction, au risque de faire des salles un rendez-vous de fantômes, etc. Dommage que Tiago Rodrigues n’ait pas renoncé à ces moments de spéculation théorique lourdingue. Ce genre de séquence «à thèse» semble déjà datée pour les spectateurs de 2017. Alors pour ceux de 2080…


lundi 10 juillet
– Atelier pratique et théorique de 14h00 à 16h00 au Théâtre des Ateliers d’Aix-en-Pce
 – 18h : Le sec et l’humide de Jonathan Littel, m.en scène Guy Cassiers
                      Vedène, durée 1h

 

    La Provence.Com :

“Le Sec et l’Humide”, Guy Cassiers studieux

 
Critiques Avignon In - Le Sec et l'Humide, Guy Cassiers studieux

Le Sec et l’Humide, le titre du spectacle n’est pas très incitatif. Mais le projet du metteur en scène flamand bien connu du Festival d’Avignon, Guy Cassiers, est intéressant. À partir d’un texte de Jonathan Littell, auteur des Bienveillantes, travailler sur la langue, le vocabulaire et la voix d’un fasciste belge, Léon Degrelle, pour montrer leur pouvoir politique : par la séduction, la persuasion, rassembler des gens autour d’une vision distordue de la réalité.

Et si, grâce à la force subliminale de cette voix, à ses intonations, même un conférencier objectif se laissait séduire inconsciemment, et que son discours critique au départ, bifurquait petit à petit vers une adhésion à des idées fascistes ?

C’est à cette démonstration que nous assistons: seul en scène, Filip Jordens soutenu par un écran, un micro, une discrète caméra, et une bande-son, tient une conférence sur Degrelle, illustrée par des extraits des discours de ce fasciste dangereux. Or très insidieusement, peu à peu, à la propre voix du conférencier, se superposent le timbre de voix, les intonations de Degrelle, jusqu’à ce que, perturbé, vampirisé, le conférencier rende les armes avec cette “chute” finale : “après moi, le Déluge” abyssal ! Tandis que, avec plus d’insistance encore, le visage du conférencier, visible en gros plan sur l’écran, se trouble jusqu’à devenir illisible. Perturbant évidemment d’assister “spectaculairement“, grâce à une collaboration de Cassiers avec l’Ircam, aux risques de manipulations auxquels nous sommes tous et à chaque instant soumis : oui veillons à ne pas être métamorphosés en monstre.

“Le Sec et l’Humide”, aujourd’hui à 15h, le 12 juillet à 15h et 18h. 04 90 14 14 14

Danièle Carraz

RFI

Avignon: l’Ircam souffle «Le sec et l’humide» chez Guy Cassiers

Par Siegfried Forster Publié le 10-07-2017 Modifié le 10-07-2017 à 13:56
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«Le sec et l’humide», de Jonathan Littell, mise en scène par Guy Cassiers, réalisation informatique musicale Ircam par Grégory Beller, du 9 au 12 juillet au Festival d’Avignon. Christophe Raynaud De Lage
Comment débusquer le monstre qui habite en nous ? Le metteur en scène belge Guy Cassiers se fait assister par la technologie pour explorer d’une nouvelle manière les racines du fascisme. Au Festival d’Avignon, il présente Le sec et l’humide, d’après le texte diabolique de Jonathan Littel sur la personne et le langage du Waffen-SS Léon Degrelle. Une technologie de voix développée par l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam) va secouer le public. Entretien avec Grégory Beller, artiste, chercheur et directeur du département Interfaces recherches et création de l’Ircam.
RFI : Le sec et l’humide, est-ce une pièce à trois bandes : Jonathan Littell pour le texte, Guy Cassiers pour la mise en scène et l’Ircam pour la technologie ?
Grégory Beller : En effet, la technologie a une place importante dans Le sec et l’humide. Au début, c’était une expérience produite par l’Ircam. L’Ircam avait invité Guy Cassiers à venir tester et bousculer les technologies que l’Ircam développait pour le spectacle vivant. Finalement, dans la production finale, cette technologie-là a une place assez importante. Je ne dirais peut-être pas autant que la mise en scène et le texte, mais, en tout cas, étant un des éléments de la mise en son qui est fondamental dans l’approche de Guy Cassiers.
Pour vous, la technologie est un acteur dans le théâtre et même un acteur principal de la pièce ?
Cela dépend, si on parle de technologie au sens large : la technologie a toujours eu une place très importante dans le spectacle vivant, a toujours été mise en scène : des amphithéâtres grecs aux machines à effets sonores du XVIIIe siècle ou encore aujourd’hui. On le voit bien dans le spectacle peut-être un peu moins vivant d’Internet où l’on voit sans arrêt de nouvelles technologies apparaître en étant des éléments de divertissement. Effectivement, la relation entre la technologie et le spectacle vivant existe depuis toujours.
Et à l’Ircam ?
A l’Ircam, on a cette expérience en musique de l’utilisation des technologies sonores, notamment en jeu. On a réussi à rendre en temps réel les effets qu’on développe. Et on arrive à suivre les partitions dans le cas de la musique ou de la voix dans le cas du théâtre. On a cette expérience de l’« augmentation » du sonore qui a lieu en live. Cela on l’a transposé de la musique au spectacle vivant, au théâtre, par exemple, où l’on va travailler surtout sur la voix des comédiens. On arrive vraiment à des augmentations sonores du réel. Ce qui intéresse énormément les metteurs en scène, parce que la technologie devient presque un élément dramaturgique – comme cela serait un masque, un déguisement ou un corps ou un autre élément du théâtre.
A l’Ircam, vous avez développé la technologie expérimentale « voice follower » que vous utilisez dans la pièce de Guy Cassiers. De quoi s’agit-il ?
Le « voice follower » est l’idée qu’on puisse suivre un comédien de manière automatique par l’ordinateur. On va enregistrer une répétition et puis, sur cet enregistrement, on va prévoir plein d’événements. Par exemple, à ce moment-là on veut que la voix soit transformée d’un homme en une femme. On va changer le genre de la voix. A un autre moment, on souhaite que la voix soit démultipliée ou mise dans un espace différent. Ou alors, on veut simplement déclencher une musique sur tel mot. Et puis l’arrêter un peu plus loin sur tel phonème.
Une fois que cette voix va se répéter, la machine va comparer sans arrêt ce qu’il avait enregistré pendant la répétition à la performance en live et va déclencher toutes les choses qui ont été prévues et composées sur la voix enregistrée. Cela permet d’arriver à des synchronisations très fortes entre des matériaux électroniques ou sonores ou des événements prévus à l’avance, et le jeu du comédien. Tout en lui laissant une grande flexibilité dans le rythme, dans la façon de parler, même dans les mots d’une certaine manière, parce qu’on ne suit pas le texte, mais le son de la voix.
En quelque sorte, cette technologie n’est pas l’homme-orchestre, mais la voix-orchestre ?
Tout à fait. D’ailleurs, on peut aller bien plus loin que simplement des traitements sonores sur cette voix. On peut très bien imaginer d’ouvrir les rideaux ou les fermer, lancer la machine à fumer ou changer la lumière, selon la voix du comédien, là où il est dans son texte et son jeu.
Dans la pièce Le sec et l’humide de Guy Cassiers, vous prévoyez aussi « un dédoublement et une fusion des voix au service d’un mécanisme psychologique irréversible ». Comment peut-on lutter contre ce mécanisme ?
Dans le spectacle de Guy Cassiers, il s’agit d’une personne qui va progressivement, malgré elle, changer d’identité. C’est un historien qui – à force de parler de son sujet qui est Léon Degrelle – va progressivement se transformer lui-même en Léon Degrelle. C’est là où Guy Cassiers joue sur la notion du sec et de l’humide, à savoir que, finalement, que ce soit la figure du dictateur ou la figure de l’historien qui en parle, on n’est pas dans un monde manichéen. Le blanc et le noir sont évidemment mêlés. Donc, là, la technologie sonore réalise véritablement cette transposition. Au départ, on est parti dans l’idée de convertir la voix d’une personne – qui était l’historien, qu’on va appeler la voix A – en la voix du Waffen-SS Léon Degrelle, la voix B. Guy Cassiers voulait le faire progressivement durant le spectacle.
On le fait avec différentes techniques, à travers cette lecture qui est un solo. Et il y a un moment donné où l’on a véritablement une citation – alors l’historien cite Léon Degrelle – et là on a vraiment une hybridation, un hybride entre la voix en live de l’historien et une voix enregistrée de Léon Degrelle. Cela permet, tout d’un coup, de plonger l’auditeur dans un trouble perceptif où il va entendre à la fois l’historien en live, mais en même temps, comme un spectre derrière, la présence de Léon Degrelle et l’objet de l’historien.
Dans la pièce, Guy Cassiers réinterroge la figure du « monstre » du nazisme. Avec votre technologie vous faites revivre ce « monstre ». Comment vous positionnez-vous par rapport au fait que le nazisme lui-même a beaucoup utilisé la technologie pour produire ses monstres ?
C’est une question piège [rires]. Les aspects politiques de l’utilisation des outils qu’on développe sont tout à fait relatifs aux projets et à la façon dont les metteurs en scène les utilisent. De toute manière, ce qui nous intéresse avec la technologie, c’est de fabriquer des « monstres ». Ensuite, que ces monstres soient gentils ou méchants ou qu’ils puissent être associés notamment à la figure du nazisme, parce que dans le spectacle il est question de nazisme, c’est une question qui nous est totalement secondaire.
Mais on fait beaucoup d’autres types de monstres. Par exemple, on a fait des voix de lions ou des voix entre les genres, entre l’homme et la femme, entre l’adolescent et la femme, pour le cinéaste Éric Rohmer, par exemple. Ou l’on crée des voix de personnalités disparues comme Marilyn Monroe ou – un autre monstre – le maréchal Pétain. Toutes ces opérations-là sont pour nous des défis sonores. Ensuite, la façon dont ils sont exploités, là cela appartient plus à l’artiste à répondre à cette question.
Pour Guy Cassiers, c’était quand même un travail assez particulier et assez nouveau puisqu’il s’agissait de convertir la voix en temps réel, mais dans une voix spécifique. Parce que changer certaines caractéristiques de la voix en temps réel, c’est assez simple, par contre changer la voix A en la voix B véritablement en quelqu’un d’autre en temps réel, c’est beaucoup plus difficile.
mardi 11 juillet
 Atelier pratique et théorique et bilan du travail de 11h30  à 13h30 au Théâtre des Ateliers d’Aix-en-Provence.

Alain Simon, bilan du 11 juillet 2017

Bilan du 11 juillet 2017

Retours d’Alain Nouvel et Dominique Soler sur Théâtre en été :

Bilan de l’atelier de sensibilisation au théâtre contemporain

L’atelier d’écoute du contemporain au théâtre fut particulièrement fertile, cette année, en rebondissements et surprises diverses. On dit parfois que « le hasard fait bien les choses », voire qu’il n’y a pas de hasards, eh bien le choix contraint des trois pièces du stage : Les Parisiens, Sopro et Le Sec et l’Humide, semble presque « faire système ». Comme l’a dit Alain Simon à l’orée de ces trois jours, « Densité vaut satisfaction », et, de ce point de vue-là, nous fûmes comblés. Trois spectacles d’une densité de texte et d’émotions extraordinaire.  Trois spectacles où le Verbe, et donc, le texte et sa profération furent chaque fois au centre, même si ce geste  fut entouré, enrichi, sublimé de quantité d’autres événements tour à tour essentiels ou contingents.

I Les Parisiens d’Olivier Py

Olivier Py croit au Verbe. Comme dans l’évangile de Jean. « Au commencement était la Parole ». Son spectacle est jésuite et baroque en diable, et pour tout dire, catholique. Et, par réaction, il me fait me poser cette question : « Faut-il vraiment croire au Verbe » ? Sa pièce est un tourbillon (oserais-je parler d’éjaculation), de mots, de mouvements, de lignes de fuite, de perspectives, sur un damier en noir et blanc qui est le seul point fixe, du début à la fin de la pièce.  Nous sommes dans un stupre langagier, dans la jouissance d’un « j’ouis sens » pleine de ce pathos cynique et sublime où la jeunesse est le premier talent, où chaque orgasme est une Ste Véronique en transe ou une apparition infernale. Comédie satirique, métaphysique et mystique, au cœur du pouvoir culturel, cruelle et verbeuse, rêveuse et citadine, nombreuse et torrentielle. Puissante comme une homélie.

Qui dit à sa créature « Tu es parfait » se prend pour Dieu mais remet en cause sa propre perfection divine. Nous voici donc dans un univers à la fois post ou néo catholique (où il suffit au Messie qu’est l’Artiste de dire « une seule parole » pour que nous soyons guéris), et, en même temps, profondément subversif, transgressif, voire blasphématoire. Au fond, de quoi doit-on guérir ? Et qui sauve qui ? Au jeu de la Providence, Dieu se fait tout petit parmi les intrigues minables et dérisoires du pouvoir, traitées avec une allégresse qui rappelle le théâtre de boulevard et Feydeau et avec une cruauté qui peut évoquer Artaud ou le Divin Marquis. Même si LE Fils, sur la croix semble omniprésent sur les belles images pieuses d’antan qui descendent des cintres, ou dans cette scène magistrale dans laquelle Lucas, sous le poids de son matelas mousse comme le Christ sous celui de sa croix, quitte la scène et enjambe un à un les fauteuils de la salle parmi les spectateurs, en montant peu à peu vers SON Golgotha, tandis qu’un moine dominicain, resté sur scène l’interroge, tel un directeur de conscience, le Père manque. La religion ne peut plus sauver, désormais, qu’à travers une relecture forcément esthétique et, donc, forcément blasphématoire. L’artiste se substitue, de façon incomplète, au Messie. La foi se doit d’être élégante et désespérée. La mode a pris le pas sur Dieu. Il convient d’être décalé. Une foi de sybarite en somme, ou de dandy. Qui aura le dernier mot, « L’Être » ou « l’étron » ?

Olivier Py voulait certainement nous conduire plus loin que son bouleversant Orlando ou l’impatience. Son ambition était que nous ne puissions plus, après son spectacle, regagner nos maisons, revenir béatement et benoîtement dans nos pénates et nos pantoufles intellectuelles. Que nous soyons devenus, en quelque sorte, étranger dans ce qui ne pouvait plus être chez nous. J’ai pourtant eu la sensation, hier, d’assister, parfois, à un fac simile de ce premier spectacle avec Les Parisiens.

 Quoi qu’il en soit, le Christ ne peut se rencontrer à Paris, sur cet échiquier en blanc et noir. Où, alors, Peut-être sur la mer, parmi les réfugiés, mais de cela Olivier Py ne dit mot. Dans l’ensemble, son spectacle manque un peu de silence, de blanc, de ce vide médian qui permettrait au monde de s’infiltrer au cœur de ce prêche post-moderne, proférée par un St Bernard des égouts, et de le fissurer. Alain Nouvel

 II A propos du spectacle de Tiago Rodriguez «  SOPRO » représenté au Cloître des Carmes à Avignon le Dimanche 9 juillet 2017 (écrit par Dominique Emilia Soler)

SOPRO  est le mot qui désigne le souffle en portugais

  Au commencement était le souffle et c’est ainsi que commence le spectacle.                                        Un mistral souffle derrière nos têtes, gigantesque bruit du vent sans vent et, sur le vaste plateau de planches, quelques  herbes folles  suggèrent un lieu abandonné, un théâtre.

Christina, souffleuse de son métier pendant 40 ans , est le sujet de cette pièce, et voilà qu’Elle est sur scène, du début à la fin, on n’entendra jamais sa voix, elle chuchote, à l’oreille de quelques comédiens, tranquillement là, son histoire. Mais on la voit. Elle dit, ou plutôt, fait dire aux deux actrices qui l’incarnent et qui sont SA voix, avec un sens aigu d’une réalité à hauteur de plateau, que son bonheur réside dans le fait que personne ne sait qu’Elle existe, son invisibilité étant  la preuve de son talent et de son pouvoir ;  c’est Elle qui, depuis son trou, sauve les acteurs du TROU de mémoire, de l’angoisse du vide, de la mort. Par elle,  le texte de théâtre glisse du passé au présent, de l’absence à la présence. Elle est celle par qui il s’incarne.

Un corps énorme mais léger et discret, allant de l’un à l’autre des acteurs.

Ce roc habillé de noir, et pourtant si humain et si doux, et si Tiago Rodriguez l’avait extrait presque de force de sa fosse ? …  comme si Elle avait peu à peu enflé de tous les mots lus et soufflés, dans une  chuchotante  immobilité.

Il me vient une rêverie… Ils ont dû, chaque année, élargir la loge pour que son corps puisse s’y dilater et peut-être est-ce là qu’Elle dort ? C’est sa grotte, son antre, Elle aime vivre dans l’ombre, dans cette ombre féconde entre le texte écrit et la parole qui le rend vivant, qui l’éveille. Elle est à la source de cet éveil. Et pourtant, elle est là, humble, discrète, omniprésente. Un fantôme plus vivant que les Vivants, ces marionnettes qu’elle ne manipule pas mais qu’elle dirige de sa main douce qui dit où aller.

    La vie ne serait-elle, comme Elle nous le suggère, que ces rôles joués, soufflés par nos ancêtres, souvent mal articulés, à contre-temps… Elle s’imagine soufflant des poèmes  aux deux amoureux qui ânonnent des « je t’aime » assis sur un banc. Dieu, que nous prenons bien au sérieux notre vie, nos rôles ! Souvent autistes, volontaristes,  plus attentifs à répéter ce qui s’écrit en gros caractères qu’à entendre ce que nous souffle notre « âme poétique» ? Notre  flamme, l’univers autour de nous, le chant des grenouilles.

Le théâtre serait-il alors une revanche ? Tout à coup, derrière nous, un train passe fracassant, le théâtre n’est plus en ruines, ni abandonné, il est au milieu du monde, les herbes poussent à travers les planches, des orages grondent  et au spectacle se mêlent des cris joyeux qui fêtent un anniversaire, sur la place des Carmes qui jouxte le cloître, dehors…

Le cloître ouvert , et comme un écho, à la fin, Tiago et les comédiens nous invitent à chanter pour fêter l’anniversaire de Christina, la Souffleuse ; eux, si  sobres et statiques durant la représentation, se mettent ( par réaction ?) à trépigner de joie en l’embrassant.

Bilan partiel (Alain Nouvel)

Déjà, ces deux premiers spectacles permettent de bâtir des oppositions fructueuses. L’hybris de l’un s’oppose à la modestie de l’autre. Dans le premier, Olivier Py, le metteur en scène démiurge, crée son univers théâtral à partir de son propre roman. Lui-même affirme que s’il a voulu adapter celui-ci, c’est que cette mission lui paraissait impossible. C’est un défi qu’il se propose de relever. Un ego disproportionné et héroïque se démultiplie donc et renvoie des images de lui-même à l’infini. Dans le second, au contraire, un homme de théâtre, Tiago Rodrigues, et son équipe, décident de se mettre à l’écoute de la plus discrète d’entre eux, et de rendre visible le souffle qu’elle fait passer. Il montre ainsi ce qui ne se voit pas, ne fait aucun bruit, mais habite chacun de nous. L’écriture de ce texte étant collégiale et plurielle, l’individu s’efface devant le collectif. Pour terminer, je mettrais volontiers en regard les deux « sols » sur lesquels se construisent ces deux pièces. J’opposerais au dallage en damier noir et blanc, impitoyable et régulier mais stérile des Parisiens, ce plancher à claire-voie de Sopro, fragile et ancien mais fécond, et qui s’éclaire et nous éclaire, et dans lequel passent et poussent des herbes vivantes et vertes, de vraies plantes. La vie y passe entre les trous.

Et Alain Simon nous dit alors cette phrase  : « Tu ne peux devenir acteur que si tu acceptes de te métamorphoser, non pas en un autre extérieur, mais en un autre toi-même, en cette altérité de toi que tu n’as jamais voulu vivre ni développer, mais qui est là et te menace, qui est celle ou celui qui veut aller, sortir de toi et qui te nie et qui te joue, se joue de toi, si tu ne la joues pas. »