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19 octobre 2016

Malaise dans la civilisation de Sigmund Freud

par Nicole ESQUIEU

info-veille-freud-page-001“La civilisation a toujours été animée par un  combat entre la pulsion de vie et celle de mort et  nul ne peut présumer du succès et de l’issue 

 Il y a quelques années, j’invitais Jean-Marie Broucaret à lire ce texte de Freud. Convaincus tous les deux de son intérêt, nous envisagions alors de lire l’intégralité de ce texte dans le cadre d’une Veille théâtrale. Ce projet se réalise cette saison, dans un contexte qui lui donne encore plus d’intérêt ! Nous avons cru à l’irréversibilité du progrès et nous voyons à la lumière de cette crise que le vernis civilisationnel est fragile ! Freud nous invite à prendre en compte notre part archaïque qui si elle est par trop négligée risque de nous imposer le resurgissement de dérives barbares…  A. Simon

Jean-Marie Broucaret et Alain Simon sont complices de longue date  pour des lectures souvent données dans le cadre  des Écritures Croisées, lors de Veilles théâtrales ou de lectures-performances comme l’ont été à Aix-en-Provence et à Bayonne Vers une intégrale de Don Quichotte en 1999 et la lecture intégrale de Cent ans de solitude en 2013. Comédien, metteur en scène, directeur artistique du Théâtre des Chimères et du Festival de Théâtre Franco ibérique et Latino  américain de Bayonne qu’il a fondé en 1980, Jean-Marie Broucaret rejoint avec Malaise dans la civilisation Alain Simon pour leur septième Veille théâtrale à lire ensemble. Elle sera reprise au Théâtre des Chimères à Biarritz le 4 décembre.

 Veille Théâtrale mode d’emploi :  Il y aura deux pauses d’un quart d’heure, au cours des quelles vous pourrez vous restaurer, chacune après une heure cinq de lecture. La dernière partie durera 35 minutes. Vous pourrez alors si vous le souhaitez rencontrer les comédiens.

Alain Simon et Jean-Marie Broucaret, 3 novembre 2016 cl. Cagliari

Alain Simon et Jean-Marie Broucaret, 3 novembre 2016 – cliché Cagliari

Compte rendu envoyé par Michel Morin

Au Théâtre des Ateliers : Sigmund Freud discute avec Freud Sigmund des malaises et des malheurs de la civilisation.

Rien de tel en pleine folie collective qu’un retour aux textes des vieux sages. Acteurs-spectateurs des désastres de leurs contemporains quelques-uns de nos  grands antécédents ont eu le courage tranquille de vouloir comprendre et expliquer  les étranges aléas de la quête du bonheur et les déraisonnables emballements de la violence et de la haine dans les sociétés humaines. Montaigne a montré la voie il y a longtemps quand les massacres des guerres de religion ravageaient l’Europe. Freud il y a moins longtemps,  confronté à la montée irrésistible des fascismes, a pris la distance et le temps d’écrire en 1929 un curieux essai qu’il a intitulé «  « Das Unbehagen in der Kultur », traduit  par « Malaise dans la civilisation ».  Ce texte circule maintenant en Francophonie avec l’intitulé labellisé : « Le Malaise dans la culture ».  Il y a quelques jours Alain Simon a eu la bonne idée de présenter dans son théâtre une lecture de ce texte qui s’est révélé pour ses auditeurs d’une étonnante actualité.

A l’extérieur les télés continuaient à banaliser l’image des massacres, des noyades et des camps de concentration modernes pour immigrés ; les français apprenaient laborieusement que le mot Brexit annonçait peut-être un nouvel appel à une néo-Jeanne d’Arc pour sauver la patrie contre l’ennemi héréditaire et les sauvages envahisseurs ; préparés par des experts sondeurs internationalement qualifiés, le grand public ignare et le petit public informé attendaient avec curiosité le remplacement d’un noir par une vieille intrigante au pays des cow-boys. On ne savait pas encore que le gagnant  serait  un vieux clown appelé Donald, lubrique et fier du colt qu’il porte toujours sur lui.

Alain Simon -Cliché Cagliari

Alain Simon -Cliché Cagliari

C’est dans ce contexte dérouté et déroutant  que les portes du théâtre se sont ouvertes à qui voulait venir. Les visiteurs se sont sagement installés sur les gradins inconfortables habituels. Ils se sont retrouvés dans le noir et la lumière a éclairé le plateau. En dessous d’eux. une longue table, deux lampes, deux hommes, Alain Simon et  Jean-Marie Broucaret, avec pour chacun un tas de feuillets bien rangés à l’épaisseur plutôt rassurante. Ils ont commencé à lire en alternance. Les mots n’intimidaient pas. Ils parlaient  bonheur,  souffrances, amour, mort, sexe, enfant,père, mère, violence , agressivité, culpabilité . Quand des mots concepts venaient, surmoi, moi, castration , complexe, instance,  pulsion de mort, ils étaient patiemment définis, expliqués et discutés.  Peu à peu on comprenait que les deux lecteurs qui s’interrompaient gentiment ne se disputaient pas mais se discutaient. C’était une pensée  au travail qu’on entendait et qu’on voyait dans le jeu du dédoublement des lecteurs.  L’humour et  l’ironie virulente de Freud ou de Sigmund se mêlaient à des aveux de doute et des déclarations de modestie[1]. Ils permettaient de démolir tranquillement avec aplomb ou de ridiculiser illusions, croyances et mots d’ordre religieux avant d’affirmer la possibilité de connaissance de l’inintelligible quand on se détache  des crédulités défensives enkystées dans les délires collectifs et les soumissions paresseuses.

Jean-Marie Broucaret - Cliché Cagliari

Jean-Marie Broucaret – Cliché Cagliari

Le public a ri avec Freud quand  il met  en doute le commandement chrétien « Tu aimeras  ton prochain comme toi-même »  qui selon Freud Sigmund aurait pu être mis en pratique plus facilement s’il disait «  aime ton prochain comme il t’aime lui-même » mais deviendrait de moins en moins accepté aujourd’hui comme hier s’il disait  « aime tes ennemis ». L’auditoire  a écouté jusqu’au bout avec une gravité de plus en plus silencieuse quand les échanges et les alternances de parole des deux lecteurs se sont précipitées et que le pessimisme des deux Freud s’est rejoint pour le constat impitoyable de l’inéluctabilité de la force des pulsions de mort et les évidences du détournement de l’énergie de l’Eros dans la violence contre l’autre et contre soi.. Les analogies ambigües du processus du développement de  l’individu et de la culture et la beauté esthétique des constructions et des mythes de la recherche psychanalytique ne devenaient finalement rassurantes que pour des optimistes intemporels. Heureusement le dialogue avec Freud mis en scène par les médiateurs du Théâtre des Ateliers reste ouvert[2]

                                                                                                              (Michel Morin, 11 novembre 2016)

[1] “Aucun ouvrage ne m’a donné comme celui-ci  l’impression aussi vive de dire ce que tout le monde sait, et d’user de papier et d’encre et par suite, de mobiliser typographes et imprimeurs  pour raconter des choses qui , à proprement parler vont de soi” ( (p70  ed. PUF,  1971)

[2] pour accéder aux enregistrements des textes et événements présentés au Théâtre des Ateliers voir WWW.theatre-des-ateliers-aix.com

Fin de lecture.... Cliché Cagliari

Fin de lecture…. Cliché Cagliari

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