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25 février 2020

L’homme assis dans le couloir

par Nicole ESQUIEU

L’Homme assis dans le couloir

de Marguerite Duras.

Mise en scène Alain Simon – Assistante Bénédicte Menissier -Lumière Syméon Fieulaine

avec Noëlie Giraud

Création 2020  du Théâtre des Ateliers

Avec L’homme assis dans le couloir de Marguerite Duras, le Théâtre des Ateliers poursuit son travail sur la parole limite en proposant la création avec Noëlie Giraud de ce texte radical et poétique dans une mise en scène d’Alain Simon.

dossier Duras L’Homme assis dans le couloir

Noëlie Giraud, répétition 20 février 2020

Les textes de certains auteurs sont comme des pays à découvrir. Il faut y aller équipé des moyens du théâtre. Car le théâtre, nous le pensons, est un bathyscaphe qui permet d’explorer les profondeurs d’une œuvre. Ce n’est pas facile, ces pays ont une langue qui, même si elle ressemble à la nôtre, détient une singularité qui mérite un apprentissage. C’est le cas pour L’homme assis dans le couloir de Marguerite Duras, texte peu connu, sans doute en raison de sa complexité. Cette langue poétique avec une dimension érotique  et violente étonne. L’équipe de création est partie à l’aventure en expérimentant ce texte et les spectateurs sont conviés à voir les résultats de ses investigations. Nous aimons ce texte, c’est notre point de départ et notre parti pris est de tenter de savoir pourquoi, en partageant avec le public nos notes de voyage sous la forme de ce spectacle. Alain Simon

Du jeudi 5 au mercredi 11 mars à 20h30, dimanche 8 à 18h

 

 

 

Anne Randon a publié ce texte le lundi 9 mars :

L’HOMME ASSIS DANS LE COULOIR, de Marguerite Duras.
Mise en scène d’Alain Simon

Étrangeté d’une parole qui s’élève sur la scène du théâtre des Ateliers, entre ombre et lumière. “L’écrit vient d’ailleurs, d’une autre région que celle de la parole orale. C’est une parole d’une autre personne qui, elle, ne parle pas.” disait Marguerite Duras. Les mots qui surgissent ont cette musique singulière qui n’appartient ni l’oralité ni à l’écriture. Parole incarnée puisque portée par la comédienne Noëlie Giraud, qui lui donne le grain profond de sa voix, la présence aussi forte que sobre de son corps – mais aussi désincarnée, par la distance presque clinique et cependant habitée avec laquelle elle raconte. Plateau nu, vivant pourtant, au gré des flux de conscience, du kaléidoscope des perceptions que déploie le texte, des déplacements de cette femme dont le corps, la voix, se modifient au gré de ses points de vue, dans une indétermination qui ouvre les portes de l’imaginaire : le paysage décrit relève-t-il du réel ou de l’univers mental ? La scène narrée appartient-elle au présent, au passé, au fantasme ? Et ce regard qui fait exister le couple, n’est-ce pas à la fois celui d’une narratrice-voyeuse, celui de l’amoureuse engagée dans l’étreinte sexuelle, celui de l’écrivain qui, au nom de toutes les femmes, fait entendre la voix du désir ? Récit de irreprésentable, ces fragments d’une narration éclatée, à l’image du morcellement des corps en jeu, sont autant de variantes autour d’une même scène, comme autant de vagues successives qui tentent d’approcher le mystère de la jouissance. À travers la parole d’une femme, ils osent dire, telle une brûlure glacée, le rapport intime entre le sexe et la violence, le plaisir et la douleur, dire la perte de soi dans l’expérience spirituelle de l’union avec le monde. Dans cette exploration des zones obscures de l’humain, Noëlie Giraud apporte sa générosité et sa rigueur, se tenant fermement sur une ligne d’équilibre entre l’engagement et la retenue, la seule qui puisse concilier la crudité du langage et sa qualité poétique, la seule qui puisse donner à une expérience personnelle une portée universelle.

 

Pierre Le Borgne a assisté à la séance du 10 mars :

L’Homme assis dans le couloir – Marguerite Duras

« Parole limite » dit la note de présentation du Théâtre des Ateliers en parlant de ce texte,  mis en scène par Alain Simon et magistralement interprété par Noëlle Giraud. 

Il est vrai que cette œuvre nous bouscule et nous entraîne, dans le labyrinthe de la création littéraire, au bord de l’indicible. Elle nous fait éprouver, dans ce récit d’une scène imaginaire, les hésitations de l’auteure, ses fulgurances poétiques et ses phantasmes érotiques. A l’usage du conditionnel, qui nous montre à la fois ses hésitations et sa volonté de garder une distance par rapport au réel (comme le font les enfants qui jouent : « on dirait que tu serais le loup »…), s’oppose l’usage affirmé du présent, qui nous signifie que l’auteure a alors bien en main son récit et qu’elle peut nous emmener avec elle,  et avec les mots les plus précis, au cœur de cette scène d’amour qu’elle construit en direct pour nous. On est alors emporté par la voix de l’actrice qui nous décrit sans concession, en voix off, cette histoire d’amour physique, et qui nous fait partager, magnifiquement, par la voix et par des gestes à minima, les sentiments, les émotions et les jouissances des protagonistes de cette histoire.

Quant à la mise en scène d’Alain Simon, elle illustre parfaitement et simplement le processus de création. Derrière un paravent, ou se déroule la scène imaginaire (que nous ne verrons évidemment  pas), une lumière puissante aveugle la comédienne. Elle scrute  cette lumière, qui symbolise l’acte créateur, et elle y puise des images qu’elle nous donne à entendre. Lorsqu’elle s’est suffisamment nourrie de ce feu créateur, elle peut alors se tourner vers le public pour nous inviter à vivre avec elle cette histoire qu’elle est en train d’inventer. Elle retourne parfois vers la lumière pour nourrir son récit, mais, hélas, le feu finira peu à peu  par s’éteindre. Alors elle disparaitra derrière le paravent pour recueillir les dernières braises mais la lumière finira par s’éteindre et le rideau sera alors tiré.
Merci à toute l’équipe pour ce beau moment de théâtre ! Pierre Le Borgne mardi 10 mars 2020

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